Omar l'a tuée

Vérité et manipulations d'opinions. Enfin une information contradictoire sur l'"Affaire Omar Raddad".
«En 1894 on condamnait un jeune officier parce qu’il avait le seul tort d'être juif ; en 1994 on condamnait un jeune jardinier qui avait lâchement tué une femme âgée sans défense. En 1906 Alfred DREYFUS fut réhabilité alors que Omar RADDAD est un condamné définitif. Un était innocent, l'autre est coupable ». - Georges Cenci

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Omar Raddad innocent : c'est du cinéma !

Publié le 23 juin 2011.
Article de Philippe Bilger, avocat général.

On a compris, il FAUT qu'Omar Raddad soit innocent !

Pratiquement tous les médias, enivrés depuis quelques jours, mêlant les approximations et le promotionnel pour l'éloge d'un film de Roschdy Zem totalement engagé au service de la cause d'Omar Raddad, dans une sorte de "judiciairement correct" unanime, n'ont qu'une obsession : asséner l'innocence d'Omar. Sans savoir, sans rien connaître pour la plupart, en enfourchant la monture la plus confortable pour des journalistes et des artistes : celle qui se trompe de victime (Le Monde, Canal Plus, JDD, Version Femina).

Tous les médias en effet, même les plus lucides ou critiques par ailleurs. Là où on se flatte de passer le politique au crible, on s'abandonne en revanche, pour la justice criminelle, à la pression diffuse de ce qu'il est convenable de penser. Ne pas être en retard d'une erreur judiciaire !

Le très fin Jean-Christophe Buisson, pourtant dans la même multitude béate, s'interroge : "Et si ce film, empathique comme il faut, relançait l'affaire Omar Raddad ?" (Le Figaro Magazine)

En effet, il convient de la "relancer" mais pour mettre fin aux billevesées et cesser d'imposer une opinion absurdement dominante quand tout, examiné avec honnêteté intellectuelle, sans parti pris d'aucune sorte, notamment celui de démontrer à toute force que le marocain Omar Raddad est forcément innocent, en soupesant l'ensemble des preuves, en éliminant l'inconcevable, en s'attachant au vrai et non pas aux fantasmes de nos justiciers de pacotille, conduit à considérer que la cour d'assises des Alpes-Maritimes avait bien jugé en condamnant Omar Raddad pour le meurtre, le 23 juin 1991, de Ghislaine Marchal. Je rappelle que Me Henri Leclerc, à l'intégrité incontestable, défendait les intérêts de la famille de la victime alors que Me Jacques Vergès, qui n'a été bon qu'après le procès devant les journalistes, assistait Omar Raddad durant les débats.

Le 2 février 1994, la cour d'assises de Nice condamnait Omar Raddad à 18 années de réclusion criminelle. En 1998, il bénéficiait de la grâce de Jacques Chirac à la suite d'une démarche personnelle d'Hassan II, roi du Maroc. Me Vergès saisit, au mois de janvier 1999, la Commission de révision des condamnations pénales et ce processus est toujours en cours. Deux ADN masculins différents ayant été relevés dans une empreinte palmaire de la porte de la chaufferie, là où résidait la victime, Me Noachovitch, ayant pris la relève de Me Vergès, a demandé leur comparaison avec ceux du fichier national des empreintes génétiques.

Qu'à la suite d'une condamnation par une cour d'assises soit mise en branle une contestation de l'arrêt avec une confiance absolue accordée aux protestations d'innocence du principal intéressé n'est malheureusement que trop ordinaire en ces derniers temps. Ce qui est spécifique au dossier d'Omar Raddad se rapporte au fait qu'après la sanction qui lui a été infligée pour homicide volontaire, on n'a plus entendu que ses soutiens, ses partisans, journalistes, artistes, académiciens, détectives et que l'opinion publique a été abreuvée d'informations fantaisistes, de prétendues contradictions, d'alibis hypothétiques, de vérifications fantaisistes, de livres superficiels et, pour tout dire, n'a cessé d'être abusée parce qu'il valait mieux avoir tort avec Omar Raddad que raison avec les évidences et la vérité de la justice criminelle, fondées notamment sur les accusations claires et tragiques de la victime - Omar m'a tuer -, écrites à deux reprises avec son sang lors de son agonie, dans une pièce barricadée.

Je conçois bien qu'il soit plus excitant, à tous niveaux, de participer à "la construction d'un innocent" plutôt que de tristement confirmer la certitude d'une culpabilité. Alors on invente, on délire, on constitue Omar Raddad comme le "coupable idéal" pour une gendarmerie et une justice qui auraient été animées à son encontre par une hostilité de tous les instants consacrée par des jurés convaincus à Nice de son crime. Aussi absurde qu'apparaisse une telle thèse, il y aura toujours des gens pour la développer et d'autres pour la croire. Plus que jamais, de nos jours, on rejette une vérité qui n'est pas médiatiquement rentable au profit d'une mise en doute et en suspicion permanente infiniment plus stimulante. Comme l'a plaidé Me Georges Kiejman dans le procès en diffamation engagé et gagné par le fils de Ghislaine Marchal contre l'Académicien Jean-Marie Rouart, l'acquittement d'Omar Raddad n'a été que médiatique. Il ignorait alors qu'il deviendrait cinématographique !

Ce film, d'ailleurs, à partir du moment où il s'appuie sur le livre d'Omar Raddad et sur celui de Jean-Marie Rouart, ne pouvait qu'être partial et délibérément au service du fantasme du "coupable idéal" fabriqué de toutes pièces. Pourtant, nous avons droit- un must !- à un entretien croisé entre Omar Raddad et Roschdy Zem où les deux se félicitent d'être si pertinents dans la dénonciation de la justice au profit du premier, innocent évidemment (Le Parisien) ! De qui se moque-t-on ?

Pour montrer par un exemple infime les dégâts de cette orientation unilatérale - beaucoup trop difficile, pour le cinéma français, de faire un grand film riche, puissant, équilibré, informé, comme les oeuvres admirables et politiques du cinéma italien des années 1970 -, Jean-Christophe Buisson, élogieux pour ce film de Roschdy Zem, doute de la phrase écrite par la victime en soutenant "qu'elle ne faisait pas de fautes d'orthographe" alors qu'au contraire ses écrits établissent qu'elle avait parfois une orthographe incorrecte, notamment pour le passé composé.

Eric Neuhoff, dans le même registre, célébrant comme il se doit le film, a joué, lui aussi, à l'enquêteur et affirme péremptoirement qu'écrire avec son sang dans le noir est impossible. Ce serait grotesque si cela ne concernait pas cette tragédie-là et cette agonie-là (Le Figaro) !

Dans une autre critique de ce film dans Version Femina, signée CG, "le livre-enquête" de Jean-Marie Rouart est évoqué. C'est piquant car s'il y a eu un livre, il n'y a pas eu du tout d'enquête sérieuse et approfondie. Mais cela fait toujours du bien et de l'effet de l'écrire !

Le hasard de la vie intellectuelle est parfois heureux qui offre le contrepoison le plus radical, le remède le plus efficace pour guérir de ces fantasmes judiciaires.

Dominique Inschauspé, aux PUF, dénie que l'affaire Raddad soit une "erreur judiciaire" et au contraire rappelle les charges que les médias occultent par complaisance et cette propension à fuir l'ordinaire indiscutable puisqu'il ne trouble rien ni personne.

Surtout, Guy Hugnet, journaliste indépendant, publie aux éditions de l'Archipel : "Omar m'a tuer - Affaire Raddad, le vrai coupable".

Le vrai coupable

J'invite ceux qui sont passionnés par l'affaire Omar Raddad à lire ce texte qui dit tout avec une rigueur logique, un examen lucide des preuves et des témoignages, une relation objective et complète des thèses en présence. L'auteur récapitule tout ce qui a été soumis, de manière contrastée et éclatée, à l'attention et à la curiosité nationales depuis le crime de 1994 et ses prémices jusqu'à aujourd'hui. Ce faisant, examinant scrupuleusement les versions des uns et des autres, les foucades d'un tel, les imaginations de tel autre, détruisant les absurdités et rappelant les cohérences, abordant de front les ADN et leurs limites, fouillant la personnalité équivoque et contrastée d'Omar Raddad, il en arrive à narrer la seule histoire possible, judiciairement consacrée en première instance et non démentie véritablement par la suite : celle de la culpabilité d'Omar Raddad - sans doute avec un mobile de lucre et d'humiliation mêlés -, auteur dans des conditions atroces d'un meurtre sur la personne de Ghislaine Marchal qui a pu encore avant sa mort effectuer la double inscription incriminant Omar Raddad, l'une ostensible, l'autre à peine lisible à cause de sa faiblesse grandissante, ainsi qu'une manipulation qui lui a permis de s'enfermer de l'intérieur. Guy Hugnet s'affrontant à chaque incertitude les résout toutes et présente un Omar Raddad très éloigné de la sanctification médiatique et artistique dont il a bénéficié et bénéficie encore.

Pour en arriver à cette conclusion qui permet à son récit de rejoindre le réel et d'acquitter la Justice, il démolit les deux séquences fondamentales, illusoires et inconsistantes qui ont cherché, contre toute vraisemblance, à opérer "la construction d'un innocent".

Il faut lire les pages consacrées au détective Roger-Marc Moreau, à ses étranges procédés, à ses dérives intellectuelles et aux transgressions et indélicatesses sanctionnées qui ont jalonné son parcours. Son collègue Bernard Naranjo ne vaut guère mieux sur le plan de ses capacités et de sa fiabilité!

Là où Guy Hugnet frappe aussi fort et juste, c'est dans la démolition de l'action erratique de cet Académicien Rouart qui sans avoir assisté au procès de Nice s'est intronisé justicier et limier au service exclusif d'Omar Raddad. On perçoit son obsession de se situer dans la lignée d'illustres devanceurs mais il oublie d'abord qu'il n'est pas Voltaire ni Zola et qu'ensuite la cause défendue par l'un et l'autre était juste. Cette véritable supercherie, qu'une condamnation pour diffamation n'a pas entravée, et les élucubrations qui l'ont nourrie, si j'ose dire, est de peu de poids puisque je note avec stupéfaction qu'on continue de lui donner la parole et qu'il ne se renouvelle guère. En effet, questionné par Emmanuelle Frois, il ressasse :"On a fabriqué un coupable idéal". Incapable de se remettre en cause, il a trouvé le combat de sa vie et tout ce qui ne sert pas l'innocence alléguée d'Omar Raddad lui demeure étranger.

Si Guy Hugnet a été interviewé par Robert Ménard (I Télé) et a droit, avec Dominique Inchauspé, à un petit article dans Le Parisien, que dire en revanche du formidable tintamarre qui accompagne chacune des prétendues révélations sur l'affaire Raddad comme si les médias, oubliant toute décence, se précipitaient vers la "soupe" démagogique et rentable ? Je ne doute pas que le courage intellectuel et judiciaire qui avec anticonformisme cherche à briser le conformisme à la mode des "pro Omar" et à relancer une cause étouffée par une chape d'humanisme convenu et ignorant n'aura guère droit de cité. Les Zola du pauvre vont continuer à s'agiter et les détectives qui n'ont rien à détecter que du vent, à s'en donner à cœur joie.

Au fond, la seule interrogation qui vaille la peine d'être considérée avec gravité est celle-ci : pourquoi Omar Raddad mène-t-il ce combat, où sa solitude aujourd'hui est très peuplée, s'il est coupable ? La réponse ne saurait être péremptoire mais la rationalité ne constitue pas le meilleur outil pour appréhender les ombres et les lumières d'un être, ce qu'il veut sauvegarder à tout prix et le sens d'une existence. J'incline à croire que la lutte d'Omar Raddad l'a constitué comme un innocent auquel il a fini par s'identifier. Le procès l'a condamné mais depuis longtemps il est en train de s'acquitter chaque jour. Purifier un destin sombre, ce n'est pas après tout un destin médiocre.

A condition qu'on n'oublie pas, que personne n'oublie que "la seule victime, c'est ma tante", comme le rappelle avec une tendresse mélancolique la nièce de Ghislaine Marchal.

Georges Cenci

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