Des contre-vérités dans l'affaire Omar Raddad
Publié le mercredi 20 juillet 2011, 16:10 - Web-O-Scope - Lien permanent
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Dans une lettre ouverte au Monde, Jean-Marie Rouart demande au président de la République un nouveau procès pour Omar Raddad, victime d'une prétendue erreur judiciaire.
Tout condamné, tout détenu, toute personne accusée veut que sa situation judiciaire s'arrange. Les personnes motivées peuvent aider. Mais, à ne pas lire le dossier d'instruction comme M. Rouart, elles travestissent la vérité. Leur combat erratique donne de la justice une image fausse et les vrais problèmes disparaissent dans la fumée des incantations puériles : comme si, selon M. Rouart, un public convaincu de l'innocence du jardinier de plus en plus vaste ou un nombre croissant d'ouvrages relayant cette idée étaient des preuves de l'innocence du jardinier ! Les seules preuves dissimulées dans cette affaire sont celles qui accusent Omar Raddad. L'opinion publique, dont se prévaut M. Rouart, penserait sans doute différemment si elle avait été correctement informée. En effet, le film Omar m'a tuer est empli de contre-vérités. Mme Marchal n'a pas été tuée le lundi 24 juin, comme il y est dit, ce qui aurait donné à Omar Raddad un alibi mais bien le dimanche 23 juin. Ce jour-là, la victime est attendue à 13h chez des amis pour déjeuner. Dans la matinée, elle a donné des coups de fil, le dernier à 11h50. Mais elle ne se présentera pas au déjeuner. Le film, comme l'a fait la défense, exploite une erreur de date figurant sur le rapport d'autopsie. C'est de bonne guerre. Mais la date officielle de la mort – fixée par d'éminents légistes comme le professeur Dominique Lecomte – se situe le 23 juin, autour de midi. A cette date, à l'heure du crime, Omar Raddad n'a aucun alibi. Or, il se trouve à 400 mètres du lieu du crime chez la voisine, Mme Pascal dont il est aussi le jardinier. Il prétend être allé déjeuner chez lui. Dans ce cas, six à sept personnes auraient dû le croiser ou au moins l'apercevoir. Or, personne ne l'a vu. Qui plus est, personne ne savait que le jardinier travaillait à proximité ce jour-là, puisque au contraire de ce qu'affirme M. Rouart, il ne travaillait jamais le dimanche. Donc, personne hormis Mme Marchal – ne pouvait l'accuser. Le film affirme encore que la fameuse inscription "Omar m'a tuer" ne serait pas de la main de Mme Marchal et qu'elle ne pouvait pas écrire droit, la cave étant dans l'obscurité. C'est faux, la lumière du couloir était allumée. On le sait puisque l'interrupteur était taché de son sang. Seule la seconde inscription "Omar m'a t" a été rédigée dans l'obscurité. Elle est à peine lisible. Le film fait l'amalgame entre les deux. Omar a un mobile : fréquentant les casinos (personnels interrogés) plusieurs fois par semaine, il a de tels besoins d'argent qu'il a vidé le compte en banque familial, que deux mois de son loyer ne sont pas payés et qu'il harcèle Mmes Marchal et Pascal pour avoir des avances sur son salaire. Quand le corps est découvert, il manque une somme d'argent importante dans le sac de la victime, ce que ne dit pas non plus le film. Le bon sens commande la solution de l'affaire : bloquer la porte de la cave avec un lit et une barre de fer après avoir écrit le nom de l'auteur du crime – un proche – à deux reprises avec son sang est le fait de la victime. Tout autre scénario est une idée à la Agatha Christie. Soutenir, comme dans le film, que le juge d'instruction et les gendarmes ont fait détruire des photos indiquant une piste différente est absurde : travestir une enquête à ce point sous les yeux des médias n'est pas concevable ; outre que juges et gendarmes n'ont pas l'habitude de telles malhonnêtetés. La réalité de l'erreur judiciaire est bien différente. C'est dans les affaires de mœurs qu'on la trouve surtout, témoin Outreau, l'affaire Loïc Sécher et sans doute pour partie l'affaire DSK : juges et enquêteurs croient de bonne foi les accusations les plus délirantes (et avec eux les journalistes et beaucoup d'avocats). Par ailleurs, l'erreur judiciaire "à la française" tient surtout à l'abus de la détention provisoire. Chaque année, des centaines de détenus sont acquittés ! Et non pas des innocents condamnés à tort. Dans les affaires criminelles (de cours d'assises) la durée moyenne de la détention avant procès est de deux ans. Croire que les juges d'instruction, les policiers, les gendarmes bricolent des procédures à charge pour faire condamner des innocents est une dangereuse absurdité. Elle revient à se défier d'une justice qui fonctionne bien mieux que celles qui ignorent le juge d'instruction (comme le montre l'affaire DSK). Elle fait oublier la vraie réforme que proposait le rapport Léger et que personne n'a relevée : réduire les délais maximum de détention provisoire de 70 %.
par Dominique Inchauspé, avocat, et Guy Hugnet, journaliste.
Source : LeMonde.fr
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